Synthèse : Présenté par
Bruxelles comme précurseur d'une nouvelle génération
d'accords bilatéraux entre l'UE et les pays en voie de développement,
le texte du récent accord de libre-échange (ALE) entre
l'Union européenne et le Vietnam intègre une forte proportion
d'engagements et de dispositions sociales, éthiques et environnementales.
Réelle avancée vers un point d'équilibre entre
libéralisation du commerce et développement durable,
ou simple enrobage pour faire passer la pilule ?
Ratifié le 1er octobre 2016 par le Parlement européen
(cf. Atmosphère
Internationale d'octobre 2016), l'accord* a pour ambition de soutenir
la transition du Vietnam vers une économie plus compétitive
et plus durable, tout en facilitant les échanges (démantèlement
des droits de douanes et des barrières non tarifaires, ouverture
des marchés import/export, protection des investissements,...),
dans le respect des droits de l'homme et des normes sociales et environnementales.
Outre sa référence aux grandes lignes directrices internationales
(OCDE, ONU, OIT),
le texte instaure un lien juridiquement contraignant avec les
principes, valeurs et objectifs de l'accord-cadre de partenariat et
de coopération (APC) UE / Vietnam, signé en 2012, qui
comprend des dispositions relatives au respect des droits de l'homme.
Il en découle la possibilité pour les parties de prendre
les mesures appropriées en cas de "violation grave"
de ces "éléments essentiels", pouvant
aller en théorie jusqu'à la suspension partielle ou
totale de l'ALE.
Aux termes de l'accord, les partenaires s'engagent à mettre
effectivement en uvre les normes fondamentales du travail
de l'OIT, à appliquer efficacement les législations
sociales et environnementales nationales, à promouvoir
la Responsabilité Sociétale des Entreprises,
à lutter contre le changement climatique et à favoriser
la gestion durable des ressources naturelles.
Outre les échanges entre gouvernements, l'ALE UE / Vietnam
prévoit la mise en place de plusieurs instances de dialogue
associant la société civile à différents
degrés. Diverses dispositions prévoient également
de renforcer la transparence vis-à-vis du grand public.
Enfin, la Commission européenne s'engage unilatéralement
à mener une étude d'impact de l'accord commercial
sur les droits de l'homme au Vietnam, afin de mesurer son efficacité
et de pouvoir ajuster le cas échéant le contenu du chapitre
"commerce et développement durable" dans les prochains
accords de libre-échange.
* Texte officiel de l'ALE UE / Vietnam à
disposition de nos abonnés sur simple demande. |
Avis de l'expert :
L'avancée est incontestable ! Aucun accord de libre-échange
à ce jour dans un rapport de force aussi déséquilibré,
n'a été aussi loin dans la définition d'un
cadre commun en matière de RSE. Ce n'est pourtant pas
une surprise : l'évolution a été progressive
depuis la conclusion du premier ALE dit de "nouvelle génération"
entre l'UE et la Corée du Sud en 2011 (cf. Atmosphère
Internationale de mai 2011).
Cela fait plusieurs années en effet que l'Union européenne
tente de concilier les objectifs de la politique commerciale
commune (cf. Atmosphère
Internationale de juin 2014) avec les objectifs généraux
de son action extérieure : promotion de l'Etat de droit,
de la démocratie, des droits de l'homme et du développement
durable.
Ce qui différencie cet accord des précédents
(UE/Corée du Sud, UE/Colombie-Pérou),
c'est d'une part l'étendue de son périmètre
(droits de l'homme, droits du travail, respect de l'environnement,
responsabilité des entreprises, transparence,...), et
d'autre part l'inclusion de mécanismes de suivi
(instances de dialogue, commissions d'experts, commissions intergouvernementales...)
dont le rôle peut aller jusqu'à dénoncer
le non respect des engagements par l'une ou l'autre des parties...
dans le cadre strict des échanges économiques
bilatéraux.
Car si cet accord de libre-échange peut être légitimement
considéré comme "précurseur",
notamment en comparaison avec l'approche des Etats-Unis (le
TPP ne contient
aucun engagement à ratifier les 8 conventions fondamentales
de lOIT auxquelles aucune mention nest faite), les
enjeux politico-économiques n'en demeurent pas moins
primordiaux et prioritaires : ainsi il est clair que le
dialogue sur ces sujets ne s'engagera entre les parties que
dans la mesure où ils seront directement liés
au commerce...
On notera que la clause du respect des obligations ne
concerne que les engagements qualifiés d'essentiels de
l'accord-cadre, et sous condition que la violation soit "substantielle
et grave", sans plus de précision.
Pendant les négociations, des représentants de
la société civile ont demandé la clarification
de ces notions et la mise en place d'instances de contrôle
plus indépendantes que celles prévues par l'accord
: la Commission européenne n'a pas souhaité s'engager
sur cette voie, arguant de la nécessité d'un accord
politique plus global, non adapté à des accords
bilatéraux... L'avenir dira si les mécanismes
prévus suffiront.
A ce jour, le Vietnam n'a signé que 5 conventions
fondamentales de l'OIT sur 8 et 21 sur 189 au total. Si
le pays s'est doté d'un corpus législatif très
complet en matière de droit du travail, renforcé
depuis 2012-2013, l'application effective de ce cadre et son
respect par les acteurs économiques comporte de nombreuses
faiblesses, dues au manque d'investissement dans les structures
de contrôle (inspection du travail) et à un
niveau de corruption encore important au sein de l'administration
du pays toujours sous régime autoritaire (112ème
rang de l'index IPC Transparency International 2015) .
Même si la nouvelle Constitution de 2013 institue une
protection générale des droits à la liberté
d'expression et d'association, la loi nationale limite dans
les faits leur exercice. Les travailleurs n'ont pas le droit
de créer ou d'adhérer à un syndicat de
leur choix, puisque tous les syndicats d'entreprise doivent
être affiliés au seul syndicat officiel, la Confédération
Générale du Travail au Vietnam. Les accords de
négociation collective signés ne sont pour le
moment pas plus favorables que les dispositions de la loi nationale...
Le nouvel ALE devrait fortement accroître l'attractivité
de ce pays traditionnellement pourvoyeur d'une main d'uvre
abondante et expérimentée dans les secteurs classiques
du textile-habillement-chaussure et de l'alimentaire, mais aussi
nouvel exportateur de produits technologiques (téléphonie,
électronique, pièces automobiles).
En parallèle de l'étude d'impact qui sera menée
par la Commission, gageons que les syndicats internationaux
et les ONG suivront de près les progrès du Vietnam
pour respecter ses engagements en matière de RSE et de
développement durable.
Ce n'est donc pas le moment pour les entreprises communautaires
concernées de baisser la garde sur leur devoir
de vigilance et de diligence
raisonnable : la mise en lumière des interactions
économiques et sociales entre l'UE et le Vietnam que
provoquera l'entrée en application de l'accord de libre-échange
(probablement en 2018), leur impose de bien maîtriser
les risques sociaux, éthiques et environnementaux liés
à leurs activités au Vietnam.
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