Synthèse : A l'occasion de l'ouverture
du procès "LuxLeaks" qui projette la lumière
sur le statut précaire des "lanceurs d'alerte" (cf.
Atmosphère Internationale
de septembre 2014), le Ministre français des Finances a
confirmé le soutien du gouvernement français à
une amélioration globale et effective de leur protection.
Il se dit prêt à intégrer les propositions du
Conseil d'Etat* dans le texte du projet de "Loi
sur la transparence, la lutte contre la corruption, et la modernisation
de la vie économique", qui sera débattu à
l'Assemblée nationale courant juin.
En parallèle, Transparency International a lancé une
pétition
en ligne pour demander "que la loi anti-corruption, dite
Sapin 2, accorde un statut global et une protection effective à
tous les lanceurs dalerte en conformité avec les
meilleurs standards internationaux". Cette initiative qui
a déjà enregistré près de 25 000 signatures
est également portée par d'autres ONG, syndicats et
représentants de la société civile.
Pour rappel, dans la version actuelle du projet de loi Sapin 2, la
nouvelle Agence Nationale de Prévention et de Détection
de la Corruption (ANPDC) aura notamment un rôle de protection
des lanceurs d'alerte vis-à-vis des risques de licenciement,
discrimination ou harcèlement en représailles (cf. Atmosphère
Internationale de mars 2016).
Le cas échéant, leurs frais de justice pourront être
pris en charge, et l'ANPDC pourra se substituer à eux pour
saisir la justice si elle considère que les preuves sont
sérieuses et que le/les salariés ne veulent pas être
exposés.
L'agence pourra également déposer une plainte avec
constitution de partie civile au regard des informations fournies
par les ONG qui diffusent des informations provenant des lanceurs
d'alerte.
La prise en compte des propositions concrètes faites par le
Conseil d'Etat et les ONG devrait effectivement aboutir à la
définition d'un statut global mieux protégé,
et permettre la divulgation accrue de faits de corruption, de trafic
d'influence et de détournements de fonds publics.
* "Le droit d'alerte : signaler, traiter, protéger"
(Etude du Conseil d'Etat - 25/02/2016) à disposition de nos
abonnés sur
simple demande. |
|
Avis de l'expert : Même
s'il existe de nombreuses dispositions en droit français concernant
le devoir d'alerte, les dispositifs de diffusion et la protection
des lanceurs d'alerte, celles-ci sont dispersées dans plusieurs
textes et couvrent des aspects différents :
- Article 40 du Code de procédure pénale
concerne l'obligation pour les agents publics de dénoncer
les crimes et délits dont ils pourraient être témoins.
- Le Code du Travail et le Code de la Santé
contiennent diverses dispositions protégeant les salariés
du secteur public ou privé qui dénoncent des cas
de corruption.
Il s'agit de l'intégration de différentes lois qui
se sont succédé entre 2007 et 2013, notamment en
matière de risques graves pour la santé et l'environnement,
ou pour la transparence de la vie publique, ou bien encore la
lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance
financière.
Faute de former un ensemble cohérent, définissant un
statut global du lanceur d'alerte, ces textes sont peu utilisés
notamment en raison du flou sur le niveau de protection qu'ils
garantissent.
Des dispositifs d'alerte professionnelle ont été développés
dans les plus grandes entreprises, notamment celles travaillant dans
des secteurs sensibles (armement, BTP, industrie pharmaceutique, etc.)
et à l'international, en raison des risques importants de corruption
(cf. Atmosphère
Internationale de janvier 2015).
Les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont depuis plusieurs années
mis en place des cadres juridiques élaborés (US Foreign
Corrupt Practice Act; UK Bribery Act) dont le succès ne peut
être démenti, et qui inspire aujourd'hui de nombreux
pays... dont la France (cf. Atmosphère
Internationale de mars 2016) !
Mais là encore le lanceur d'alerte manque de garanties sur
la confidentialité et l'anonymat qui pourraient protéger
sa démarche.
Enfin, le conflit juridique avec des réglementations comme
la "Directive
européenne sur le secret des affaires", récemment
votée par le Parlement européen, les dispositions du
Code pénal français sur la violation du secret
professionnel, du secret
des correspondances ou du secret
défense, accentuent encore le manque de visibilité
pour ceux qui seraient tentés de remplir leur devoir citoyen.
En se dotant d'un statut clairement défini du lanceur d'alerte,
lui assurant une protection accrue, la France ne ferait que suivre
les législations les plus progressistes et efficaces (Royaume-Uni,
Etats-Unis, Irlande, Roumanie, etc.), en anticipant le projet de Convention
pénale sur la corruption du Conseil de l'Europe et une
future directive européenne sur le sujet, actuellement portée
par le Parlement
européen.
|
|