Synthèse : Les 90 000 cargos qui sillonnent
les océans pour transporter 80% des marchandises échangées
dans le monde, restent quasiment invisibles dans la cartographie des
risques éthiques de la supply chain internationale : dès
lors, qui se soucie des conditions de travail et de vie à bord
de ces équipages constitués de marins peu qualifiés,
souvent issus de régions très pauvres (Philippines,
Inde, Chine, Europe de l'Est), et donc vulnérables à
des pratiques relevant de l'esclavage moderne ? Il existe des lois
et des réglementations, mais encore faut-il les connaître
afin de pouvoir s'assurer de leur respect dans le cadre du devoir
de vigilance et de diligence raisonnable de l'entreprise...
Cet été, sous le couvert du UK Modern Slavery Act
de 2015 (cf. Atmosphère
Internationale de septembre 2015), les autorités du Royaume-Uni
ont mis en place les premiers contrôles sur les conditions
de travail à bord des navires suspectés de pratiquer
l'esclavage moderne, allant jusqu'à immobiliser les bâtiments
contrevenants au port !
En septembre, une conférence internationale organisée
par l'ONG "Human
Rights at Sea" a rassemblé des représentants
du transport maritime, des ONG et des syndicats du secteur, afin de
remettre la question des droits de l'homme pour les gens de mer au
centre du débat.
La crise historique du fret maritime international, qui touche
actuellement l'ensemble des compagnies maritimes (cf. Atmosphère
Internationale de septembre 2015), accentue le risque de dégradation
des droits de l'homme à bord des navires : ce sont les
équipages qui paient les pots cassés d'une compétition
acharnée sur les taux de fret, alors que l'offre excède
très largement la demande...
De fait, une véritable démarche de diligence raisonnable
s'avère très compliquée pour les entreprises
qui sous-traitent la gestion de leurs flux internationaux en raison
du modèle structurel complexe du transport maritime.
Ce secteur clé du commerce mondial repose en effet sur de multiples
intermédiaires souvent établis dans des pays différents
: les propriétaires-investisseurs, les exploitants du navire,
les agences de recrutement des équipages, les marins eux-mêmes,...
Avec le système des pavillons de complaisance (70% du
tonnage transporté mondialement), permettant à un armateur
d'enregistrer ses navires dans un pays où les frais d'immatriculation
sont réduits, la fiscalité légère et l'application
de la réglementation quasi inexistante (Panama, Libéria,
Iles Marshall,...), la chaîne de responsabilité en
cas d'atteinte aux droits de l'homme est des plus opaques !
L'ITF (Fédération Internationale des syndicats de travailleurs
du Transport), dont les inspecteurs interviennent régulièrement
à bord des navires alertés par des membres d'équipage
ou des dockers du port, apporte un soutien actif aux travailleurs
embarqués. Mais son action est pour une large part circonscrite
au bout de la chaîne...
L'amélioration des conditions de travail et le respect des
droits de l'homme pour les professionnels de mer nécessite
de démêler l'écheveau complexe des relations entre
les différentes parties prenantes de la gestion d'un navire,
et les compagnies maritimes ont un rôle central à
jouer dans ce sens.
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Avis de l'expert :
L'ONG Human Rights at Sea souligne, dans un secteur très
particulier, ce que la Confédération Syndicale
Internationale (CSI) constate de manière générale
dans son rapport 2016 : les droits des travailleurs s'affaiblissent
dans toutes les régions du monde (cf. Atmosphère
Internationale de septembre 2015) !
Au-delà du schéma binaire approvisionnement/distribution,
les prestataires de services en transport international sont
au cur de l'organisation opérationnelle. Or, ce
secteur est très souvent oublié dans la cartographie
des risques RSE de l'entreprise, alors même que les
enjeux sociaux et humains y sont particulièrement saillants.
Il existe un arsenal juridique important régissant ce
secteur au niveau international grâce aux conventions
de l'Organisation
Maritime Internationale (OMI) pour la sécurité
des navires (piratage) et la protection du milieu marin (pollution)...
Mais les règles liées au respect des droits de
l'homme et des travailleurs n'y sont quasiment pas traitées.
Il faut aller chercher auprès de l'Organisation Internationale
du Travail (OIT) la "Charte
des droits des gens de mer", convention du travail
maritime dite MLC 2006*, entrée en vigueur en août
2013, qui énonce clairement les conditions de travail
décentes : âge minimum, contrat d'engagement maritime,
durée du travail et du repos, paiement des salaires,
rapatriement en fin de contrat d'engagement, soins médicaux
à bord, encadrement des agences de recrutement, logement,
alimentation, sécurité et prévention des
accidents.
Ratifiée
par plus de 80 Etats, cette convention a été
complétée par plusieurs directives notamment sur
les inspections du pavillon et le contrôle du port. Elle
a été intégrée en droit communautaire
et déclinée dans les droits nationaux des signataires
(2012
en France).
Signataires parmi lesquels on retrouve tous les pays actuellement
montrés du doigt pour leur très faible implication
en faveur du respect des conditions de travail à
bord des navires arborant leur pavillon national : des Etats
où le gouvernement n'a pas la volonté politique
de contrôler l'application effective des lois.
La concentration du secteur du transport maritime actuellement
à l'uvre pourrait toutefois jouer en faveur d'une
réduction du risque éthique dans les prochaines
années : les grandes compagnies qui absorbent leurs concurrents
les moins résistants à la crise, auront en effet
tout intérêt à ne pas être exposées
à un risque de réputation important qui pourrait
les mettre en difficulté... Les ONG se chargent de rester
sur le qui-vive, mais il revient toutefois aux transitaires,
chargeurs et opérateurs du commerce d'être particulièrement
exigeants et vigilants vis-à-vis des armateurs à
ce sujet.
* Document officiel à
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