Synthèse : Le chapitre 2 du "projet
de loi relatif à la transparence, à la lutte contre
la corruption et à la modernisation de la vie économique"
(Loi Sapin 2), adopté en novembre, est entièrement dédié
à la définition du statut et aux mesures de protection
du "lanceur d'alerte". Les dispositions qui y sont inscrites
viennent compléter et renforcer l'arsenal législatif
français constitué d'un corpus de 6 lois différentes.
La définition précise inscrite dans le texte de loi
fait bien la différence entre lanceur d'alerte et délateur
: le premier se distinguant du second, en ce qu'il défend l'intérêt
général :
" Un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle
ou signale, de manière désintéressée et
de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et
manifeste d'un engagement international régulièrement
ratifié ou approuvé par la France, (
) de la loi
ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves
pour l'intérêt général, dont elle a eu
personnellement connaissance ".
Comme prévu dans sa version originale (cf. Atmosphère
Internationale de juin 2016) le texte exclut toutefois les faits
et informations couverts par le secret défense nationale, le
secret médical ou le secret entre avocat et client.
La loi Sapin 2 prévoit trois étapes encadrant la
procédure d'alerte :
- Etape 1 : Le signalement doit d'abord être porté
à la connaissance du supérieur hiérarchique
direct ou indirect, ou d'un référent désigné
par l'employeur.
- Etape 2 : En l'absence de réaction de la personne
avertie "dans un délai raisonnable", le
lanceur d'alerte peut contacter l'autorité judiciaire,
les autorités administratives sectorielles ou les ordres
professionnels.
- Etape 3 : Sans traitement dans un délai de 3 mois,
le signalement peut alors être rendu public par voix de
media.
NB : Seul un danger grave et imminent peut exonérer
le lanceur d'alerte du respect des deux premiers niveaux d'alerte,
et l'autoriser à divulguer directement l'information auprès
de la société civile.
Quelles obligations pour les entreprises ?
Dès le seuil de 50 salariés, toute personne morale
de droit public ou privé doit mettre en place des procédures
appropriées pour le recueil des signalements émis par
le personnel.
Le texte pose également comme principe qu'aucune personne
ne peut être sanctionnée ou faire l'objet d'une mesure
discriminatoire pour avoir signalé un cas d'atteinte grave
à l'intérêt général.
Par ailleurs, la loi prévoit deux types de sanctions pénales
à l'encontre des personnes susceptibles d'entraver l'action
du lanceur d'alerte :
-
Empêcher le signalement d'une alerte est puni d'1 an de prison
et de 15 000 EUR d'amende. En cas de recours à la violence,
la sanction peut être portée à 3 ans d'emprisonnement
et 45 000 EUR d'amende.
- Toute diffusion d'information permettant l'identification du lanceur
d'alerte fait encourir au contrevenant une peine d'emprisonnement
de 2 ans et une amende de 30 000 €.
Pour éviter les dénonciations infondées et calomnieuses,
la loi prévoit également des sanctions pour les "faux"
lanceurs d'alerte : condamnation pour diffamation et amende civile
de 30 000 EUR.
Enfin, le Défenseur
des Droits peut accorder une aide financière à
une personne physique engagée dans une action en justice,
sous forme d'avance sur frais de procédure, sans préjudice
de l'aide juridictionnelle perçue.
Indépendamment des actions en justice, cette institution de
protection des citoyens peut aussi accorder un secours financier
temporaire, si les conditions d'existence du lanceur d'alerte sont
compromises.
* "Projet de loi relatif à la transparence, à
la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie
économique", adopté définitivement par l'Assemblée
nationale le 8 novembre 2016 à disposition de nos abonnés
sur simple demande. |
Avis de l'expert :
Malgré l'ultime tentative du Sénat de vider le
projet de loi Sapin 2 d'une grande partie de ses innovations
(cf. ACTualité
de juillet 2016), c'est finalement l'Assemblée nationale
qui a eu le dernier mot pour faire adopter ce texte inspiré
des meilleurs standards internationaux.
La définition de ce statut est désormais beaucoup
plus claire, mais on pourra regretter cependant qu'elle ne
permette pas à des associations, ONG ou syndicats, de
se substituer au lanceur d'alerte individuel : ce dernier
reste donc le principal exposé aux "dommages collatéraux"
issus de sa démarche citoyenne.
D'ailleurs, les notions très "morales" de désintéressement
et de bonne foi sont laissées à l'appréciation
du juge, ce qui laisse à la partie adverse impliquée
une marge de manuvre pour s'opposer à l'action
en justice en essayant de mettre en cause la probité
du lanceur d'alerte... comme cela a été le cas
dans certaines affaires récentes (Luxleaks, Mediator,
etc.).
Autre faille potentielle du texte de loi, la notion de "délai
raisonnable" accordée au système
hiérarchique pour donner suite au signalement du lanceur
d'alerte : cette étape ne pouvant être brûlée
qu'en cas de danger avéré, le risque de statu
quo est bien réel.
Ce délai non limité juridiquement laisse donc
la porte ouverte à certaines dérives (tentative
de pression, voire de corruption sur le lanceur d'alerte, risques
de collusion, élimination de preuves, etc.). De ce point
de vue, les premières affaires qui passeront devant
la justice dans le cadre de cette nouvelle loi feront office
de jurisprudence... Mais sans doute faudra-t-il attendre
! Car à ce jour la France ne peut pas être considérée
comme un modèle de célérité dans
le registre des actions en justice portées par la société
civile, particulièrement lorsque des grandes entités
publiques ou privées sont mises en cause (cf. Atmosphère
Internationale de janvier 2015).
Quoiqu'incomplet, le grand mérite de ce texte est tout
de même d'offrir une véritable protection juridique
pour le lanceur d'alerte, avec condamnation civile et pénale
à l'appui : le choix d'un institut indépendant
tel que le Défenseur des Droits comme garant de cette
protection est d'ailleurs à signaler.
La première étape obligatoire du signalement peu
donc apparaitre décourageante pour les lanceurs d'alerte,
mais elle a le mérite d'impliquer directement l'entreprise
et ses responsables dans la mise en place de procédures
et de plans d'action concrets : une démarche qui
ne devrait pas poser de problème particulier aux sociétés
et administrations déjà engagées dans un
plan de lutte contre la corruption, et dont le positionnement
éthique dans les affaires est assumé.
Dans le dernier baromètre
de l'ONG Transparency International sur la perception de la
corruption par les citoyens des pays d'Europe et d'Asie Centrale,
74% des répondants en France indiquent qu'il est socialement
acceptable de signaler des faits de corruption, mais qu'en réalité,
ils n'oseraient pas le faire par peur des conséquences
: nous verrons si les nouvelles dispositions de la Loi Sapin
2 seront de nature à les rassurer
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