Lutte anti-corruption : la CJIP a-t-elle conquis les magistrats français ?
Atmosphère Internationale
June 2020

Dans un rapport très complet publié en juin 2020, le syndicat de la magistrature publie des observations sur la mise en œuvre de la loi sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, dite Loi Sapin 2. Coup de projecteur sur les principales conclusions du rapport* concernant la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP)...
Directement inspirée du Deferred Prosecution Agreement (DPA) en vigueur aux États-Unis et au Royaume-Uni, la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) a été mise en place en France dans le cadre de la loi Sapin 2 en 2016 (cf. Lutte contre la corruption transnationale : les CJIP protègent les entreprises françaises).
Proposée par le procureur de la République à une personne morale mise en cause pour des faits de corruption (atteinte contre la probité étendue en matière fiscale), cette convention a pour effet d'éteindre l'action publique et donc d'éviter une condamnation, moyennant des contreparties : amende d'intérêt public, programme de mise en conformité, réparation des dommages subis... (cf. Loi Sapin 2 / UKBA : comment faut-il coopérer avec les agences anti-corruption ?).
Le Syndicat de la magistrature s’est opposé à la création de la CJIP sur la base des principaux arguments suivants :
- Procédure moins dissuasive, notamment par l'absence de reconnaissance de culpabilité : la non inscription au casier judiciaire permet d’échapper aux conséquences importantes résultant d’une condamnation (ex : impossibilité de répondre aux appels d’offres des marchés publics) ;
- Système de justice "à deux vitesses" car offrant aux personnes morales (entreprises) une procédure de traitement non applicable aux délinquants de droit commun ;
- Négociation directe entre le procureur et l’entreprise poursuivie, impliquant un risque de déséquilibre dans certains rapports de forces (moyens limités de l'autorité judiciaire) ;
- Absence de contradiction et de débat public pouvant donner au citoyen un sentiment de « justice entre-soi » par manque de transparence ;
- Limitation possible des contreparties à une simple amende, favorisant les pratiques frauduleuses par une approche comptable (évaluation strictement financière du risque).
En dépit des réticences initiales, les observations de la magistrature française sont plutôt positives envers la CJIP à l'heure du premier bilan :
- Constat d'un renforcement de la réponse pénale française concernant les faits d’atteinte à la probité et de fraude fiscale, apaisant les craintes d'une dépénalisation du droit des affaires ;
- Montants significatifs des amendes d'intérêt public prononcées dans le cadre des CJIP (cf. Lutte contre la corruption transnationale : les CJIP protègent les entreprises françaises).
Ce qui n'empêche pas les magistrats d'émettre quelques interrogations :
- Recul insuffisant sur l’efficacité des programmes de mise en conformité surveillés par l'Agence Française Anticorruption (AFA) ;
- Succès mitigé du dispositif de protection des lanceurs d'alerte : faible nombre d’alertes dont la plupart irrecevables, rares enquêtes internes et/ou saisines faisant suite à une alerte...
Cette procédure étant récente, tous ses dysfonctionnements ne sont pas encore clairement identifiés. En voici certains évoqués dans le rapport :
- Respect du droit à un procès équitable : de par son caractère dérogatoire, la CJIP s’écarte des règles en matière de droit à un procès équitable ;
- Manque d’indépendance du parquet ;
- Interrogations sur les droits de la défense des personnes physiques impliquées dans un dossier où une personne morale aura fait l’objet d’une convention judiciaire ;
- Problématiques déontologiques liées à la privatisation des services d'enquête : chargée de vérifier le respect du plan de conformité défini par la CJIP, l’AFA peut confier des missions d’expertise à des tiers, ceux-ci étant rémunérés par la personne morale dans la limite du plafond fixé par la convention ;
- Place des victimes : l'exécution de la CJIP ne fait pas échec au droit des personnes ayant subi un préjudice d'en demander réparation devant la juridiction civile ;
- Coopération entre les autorités de poursuite dans les affaires bilatérales ou multilatérales : les normes étant différentes selon les continents, quel(s) standard(s) appliquer ? ;
- Risque d’extension "tous azimuts" de la CJIP : aux vues de l’insuffisance des moyens de la justice, la voie de la CJIP pourrait être également privilégiée dans le cadre d'autres infractions (législation du travail, infractions environnementales...) ;
- Rémunération des lanceurs d’alerte : risques de dénonciations abusives et malveillantes, et présomption de cupidité affaiblissant le poids des déclarations du lanceur d’alerte.
Avis d'expert
Marion DARIER, responsable des activités prévention de la corruption chez ACTE International
Si Jacques Chirac déclarait “Le changement est la loi de la vie humaine, il ne faut pas en avoir peur”, il est opportun de mesurer la portée des réticences exprimées par les magistrats qui anticipent les problèmes liés à une crise de paradigme : une justice régalienne et imposée fait place à une justice internationale et négociée.
Pour aller plus loin...
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Source(s) : http://syndicat-magistrature.org
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