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Atmosphère Internationale
la lettre de veille stratégique du commerce
international
Thème |
RSEE INTERNATIONALE |
Pays |
TURQUIE / SYRIE |
Date |
juin 2016 |
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Risque éthique : alerte
rouge dans les usines textiles de Turquie ! | |
Synthèse : Un rapport de l'Unicef paru
en mars 2016 confirme que le niveau de risque RSE en Turquie a atteint
un seuil critique, notamment dans le secteur textile où le
travail illicite des mineurs est en très forte augmentation.
En dehors de tout cadre légal, les sous-traitants de 2ème
et 3ème rang recrutent massivement les enfants des réfugiés
syriens qui ont fui la guerre. Alors que les ONG multiplient les alertes,
les donneurs d'ordre doivent impérativement mettre en place
un plan d'action pour participer à endiguer ce phénomène
et justifier de leur devoir de vigilance.
Selon l'Unicef *, plus de la moitié des 2,7 millions de réfugiés
syriens en Turquie sont des enfants, dont 80% sont déscolarisés.
Les ONG locales estiment que 2/3 d'entre eux travaillent dans les
secteurs du textile-habillement et du cuir dont la Turquie est le
leader au croisement de l'Europe et du Moyen Orient.
Agés de 7 à 13 ans en moyenne, ils sont devenus le soutien
indispensable et parfois le revenu unique des familles, surtout celles
qui vivent en dehors des camps et structures d'accueil officiels,
sans aide publique : leur salaire moyen est estimé à
135 USD/mois (salaire minimum mensuel en Turquie : 1647 TL, soit
554 USD) pour des journées de 10 heures et plus, et ils sont
souvent victimes de mauvais traitements, voire d'abus sexuels.
Pour les patrons d'ateliers clandestins, sous-traitants dans le secteur
informel de plus grandes usines "vitrine", cette main d'uvre
corvéable et qui n'exige pas de contrat de travail est une
aubaine : à tel point qu'ils préfèrent embaucher
les enfants plutôt que les parents...
Les nouvelles lois de janvier dernier (cf. Atmosphère
Internationale de février 2016), censées améliorer
l'accès des réfugiés syriens à un emploi
légalement contracté et payé au salaire minimum,
n'ont malheureusement pas eu d'effet visible pour le moment, et pour
cause : l'accès au permis de travail est soumis à
l'obtention d'un contrat de travail que la plupart des employeurs
de réfugiés ne veulent pas accorder pour se soustraire
au salaire minimum légal.
Exclus du système éducatif et exploités dans
les usines, les enfants les plus isolés choisissent parfois
de retourner en Syrie, appâtés par les salaires de 400
USD/mois que font miroiter les parties en conflit pour recruter des
enfants soldats.
* Rapport UNICEF "No place for Children: the impact of 5 years
of war on Syria's children and their childhood" à disposition
de nos abonnés sur
simple demande. |
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Avis de l'expert : Après
l'ONG Business & Human Rights Research Center en février
(cf. Atmosphère
Internationale de février 2016), c'est maintenant l'Unicef
qui déclenche l'alarme ! Devant ce constat terrible et le manque
de visibilité sur une sortie de crise à court terme,
quelles sont les responsabilités qui s'imposent aux donneurs
d'ordre qui travaillent avec le secteur textile et cuir en Turquie
?
Tout d'abord, il est clair que le risque de rencontrer de telles situations
est plus fort à proximité des zones frontières,
dans le sud-est de la Turquie, ou une extrême vigilance
est de mise. Néanmoins, les cas de travail d'enfants sont très
fréquents dans l'immense métropole d'Istanbul
ou prospèrent les ateliers de confection du secteur informel.
Compte tenu du profond enracinement de la situation, il est nécessaire
d'adopter une position forte vis-à-vis des fournisseurs en
(ré)affirmant sans détour vos exigences sur les principes
de base :
- Interdiction du travail des enfants et encadrement des jeunes
travailleurs
- Obligation de contractualisation et respect du salaire minimum
légal
- Prise en compte des nouvelles dispositions de la loi turque
en matière d'emploi des réfugiés
Mais au-delà de ce "rappel à l'ordre", il
est nécessaire d'instaurer un dialogue avec vos sous-traitants
afin de mettre en place un programme d'accompagnement visant, en cas
de travail d'enfants avéré, à organiser leur
retrait de l'usine dans les meilleures conditions possibles, c'est
à dire en recherchant une solution qui soit dans le meilleur
intérêt de l'enfant et de sa famille.
Dans le cas présent, nous préconisons l'embauche
en lieu et place de l'enfant d'un membre adulte de sa famille,
avec signature d'un contrat conforme aux dispositions de la loi
turque, ce qui permettra au chef de famille de faire une demande
de permis de travail en bonne et due forme auprès des autorités
turques.
Afin de renforcer l'efficacité de votre démarche RSE,
il sera judicieux de vous appuyer sur une ONG locale** bénéficiant
d'une bonne expérience de terrain afin d'élaborer des
solutions et de déployer des actions compatibles avec le contexte
économique, social et culturel.
D'un point de vue éthique, en tant que donneur d'ordre international
la pire des décisions serait d'annuler vos commandes et
d'interrompre vos contrats d'approvisionnement en provenance de
ces zones à risque sans intervenir dans votre périmètre
d'influence.
** Exemples : Hayata
Destek (Turquie), The
Syrian Relief network (Syrie), ...
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